Lexique


Circonstance : Notre pensée occidentale envisage la circonstance comme une anecdote dont on peut se passer. Nous proposons, à la suite de l’histoire de l’art récente, une vision différente de la circonstance. Elle ne se décompose pas en terme de temps et de lieu (qui sont des abstractions) parce qu’elle est poly-dimensionnelle. Elle n’a pas le confort d’un cadre, c’est un site et un moment choisis et reconnus par l’artiste. La circonstance a des saillances qui font signes. Ces saillances sont dans un même temps d’ordres topographique, temporel, sociopolitique ou historique... Ce sont ces saillances qui vont permettre à l’artiste de déduire sa pratique de la circonstance. L’œuvre qui en résulte est le précipité (au sens chimique du terme) de l’activité gymnique avec les matériaux et la circonstance.


Cliché : Le cliché désigne les représentations que nous avons pu voir mille fois. De ce fait, il ne demande aucun effort perceptif de notre part. Il est l’outil privilégié des publicitaires et son usage abusif construit des fictions. La carte postale est un cliché, par exemple, qui « fictionnalise » les vacances : le lieu, l’usage du temps libre...


Conduction : Une œuvre n’est pas un objet clos et autonome. Son intérêt n’est pas seulement formel. Les matériaux, les gestes, la situation choisie ou à vivre, sont producteurs de sens. L’œuvre est un procès ou le sens est comme une chaleur qui se répand. Celui-ci se diffuse de matériau brut à matériau brut, d’élément scénarisé à élément scénarisé ou de toutes autres combinaisons.


Document : Dans la seconde moitié du 20ème siècle, l’objet matérialisé par une pratique artistique a souvent été envisagé comme la trace objective d’un processus ou d’une activité spécifiques dans un temps donné. L’usage de la photographie et de la vidéo a particulièrement contribué à documenter ces œuvres qui privilégiaient l’acte plutôt que l’objet. Cependant, il faut prendre en compte aujourd’hui, que toutes les images* sont les produits de dispositifs complexes (cadrage, hors champs pour les plus simple), qui sont autant d’écarts vis-à-vis de la réalité concernée. C’est le choix de ces dispositifs qui peuvent tendre vers une « idée » d’objectivité.


Glamourisation : Appelée aussi effet « publicité » (qui est l’effet papillon déplacé aux images*). Si la publicité est une image* factice dont le but est principalement mercantile, le dispositif dans lequel elle intervient, son usage social* complexe, lui donne un sens qui va bien au-delà et dont les « publicitaires » se déresponsabilisent. La glamourisation est l’un de ses dispositifs.

- Les battements d’aile : L’image* publicitaire nécessite, pour happer le consommateur, deux pôles complémentaires. D’une part, la captation de la libido et, d’autre part, la projection de fantasmes. Ces deux pôles, dans leurs processus de mise en image*, puisent dans un fond de clichés* : femme fatale, mauvais garçon, talon aiguille, gros bras tatoué, vaisselle, sport...etc.

- La tornade : Ces clichés*, passés au filtre léché de l’esthétique papier glacé, construisent des fictions d’une part, et motivent des clichés* de comportements d’autre part, à force de répétition et d’identification : des scénarii à tenir et des représentations du monde discutables. (Sournoise, la glamourisation* ne touche pas seulement les représentations homme/femme, elle peut aussi cautionner les rapports de force nord/sud par un recourt à l’exotisme, teinté d’une pointe de nostalgie colonialiste. Nous la retrouvons aussi dans la « fictionnalisation » de certains corps de métier (séries télévisuelles notamment : policiers, professeurs, médecins et... artistes)). Il est important de préciser qu’en scénarisant des comportements transgressifs, il ne reste de ceux-ci qu’une série de « codes » à activer indépendamment de leurs sens : des attitudes désamorcées.


Gymnastique : La plasticité, au sens où nous l’entendons, n’est pas d’un côté le corps, et de l’autre, l’esprit, qui seraient deux pôles distincts. Dans la mesure où cette dichotomie est une aporie occidentale, la « gymnastique » propose une alternative : une intelligence du corps. Celle-ci, dans un même moment, est une activité du corps avec lui-même, l’environnement et les objets. La pensée de cette activité se manifeste dans les gestes et les opérations qui constituent la plasticité, ainsi que dans l’œuvre sens(ible).


Négoce : Le négoce généralisé a son pendant sensible : les images* négociantes. Elles sont la misère symbolique en vigueur, un gommage sans précédent des singularités. Elles se distinguent par un double mouvement : d’une part, elles vendent un produit ou un service, d’autre part, elles annihilent le jugement et la pensée du spectateur dans la mesure où elles l’incorporent (elles l’assimilent au scénario* global), et lui resservent des clichés* éculés. Elles négocient un produit et négocient son public. Le premier négoce* correspond au sens littéral de la publicité, le second, au sens qui la déborde par son usage social*.


Opérations plastiques : La pensée de l’activité plastique* se manifeste dans des opérations plastiques. Elles ne sont pas des objets, ni des concepts, mais des faits. Nous ne pouvons pas les nommer, juste approcher les directions qu’elles peuvent prendre.

Les opérations ne sont pas un ensemble clos de gestes, dans la mesure où il faut toujours en inventer. Elles sont indifférentes aux catégorisations et suffisamment souples pour s’associer entre elles. Elles interviennent à tous les niveaux de l’œuvre : mise en forme, exposition, sens...


Peinture : cas particulier des arts plastiques. Elle a dominé pendant longtemps son histoire.

Dépôt de pigments colorés sur une toile tendue sur un châssis, accrochée verticalement sur un mur. Parfois, l’artiste décide de suggérer un espace ou un corps, parfois au contraire, il décide d’affirmer la planéité de l’espace littéral de la toile. L’histoire de ce cas particulier peut se comprendre comme le parcours de cette libération, qui va de la figuration (illusion) à la mise en valeur des éléments constitutifs de l’objet tableau : le cadre, le châssis, la toile, le format, l’accrochage... etc.


Plastique : du grec plastikos : argile, cire...Le terme désigne les matières malléables et semi-malléables qui peuvent être pétries avec les mains pour leur donner une forme. Conséquemment, « plastique » désigne à la fois un matériau et un geste (modeler). Puis, l’histoire va se charger de faire dériver son sens entre l’une et l’autre de ses possibles significations. Sa définition va hésiter entre l’aspect formel de l’objet artistique et l’action qui va lui donner forme. Tour à tour, « plastique » va désigner le tout « cohérent et proportionné » d’une œuvre, où l’artiste rivalise avec le créateur, ou bien le travail intérieur de l’artiste, où se forment les idées avant d’être matérialisées.

Dans ce manuel la plasticité est préférée à « plastique ». Elle supprime la séparation entre la forme d’un côté et l’esprit de l’autre, grâce à la gymnastique*.

Pour des informations supplémentaires, consulter : Dominique Château, Arts plastiques : archéologie d’une notion, Ed. Jaqueline Chambon, Nîmes, 1999.


Règle locale : (le concept est emprunté à Frédéric de Manassein). L’histoire de l’art occidentale a privilégié des cas particuliers de la plasticité. En confondant l’œuvre avec sa réalisation, certains médiums se sont affirmés comme l’unique possibilité artistique, et certaines techniques se sont retrouvées sublimées dans des règles précises de savoir-faire. Ces règles sont discutables (et, à la vue de l’histoire picturale du XXème siècle, discutées !) à l’égard de l’histoire plastique générale. Elles n’ont jamais été des solutions de problèmes plastiques.

Scénario : (pluriel scenarii) ce terme a deux sens complémentaires dans notre manuel.

Le scénario désigne 1. Une fiction de comportement à activer présente dans un objet. 2. L’histoire et les références sociales d’un objet.

  1. La publicité, par son usage social*, convoque des scénarii à activer. Ils s’appuient sur des fictions qui sont autant de représentations faussées du monde.

  2. L’artiste, quand il travaille avec des matériaux scénarisés simples, compose à partir de l’histoire que ces matériaux portent avec eux. Lorsqu’il travaille avec des matériaux scénarisés complexes, il est au prise aussi avec des objets qui cumulent les scénarii de type 1 et 2 décrits ici. Le problème pour lui va consister à enrayer le scénario de type 1.



Usage social : se dit à propos des objets (et les images* sont des objets). Si les objets ont un sens, l’usage social en produit un autre. Il fonctionne comme une suite d’opérations qui font signes. L’usage social de la publicité, par exemple, trouve ses opérations dans : le sens (indépendant du produit), le produit, la distribution (journaux, télévision), l’affichage (espace et temps)...