Le matériau

Denis Oppenheim, Whirlpool-eye of the storm, 1973.

Avion, jet de fumée, durée 1 heure.

Suite logique du précédent chapitre, les matériaux désignent le niveau substantiel d’une œuvre, c’est-à-dire les constituants physiques mis en œuvre dans un travail plastique*. En effet, les arts plastiques sont avant tout une pratique sensible qui nécessite une attention particulière aux choses et à leur manipulation. 


Jusqu’au début du XXème siècle, les matériaux utilisés dans le travail artistique étaient prédéfinis par des règles implicites. La sculpture ne s’envisageait qu’à partir du bronze ou du marbre, modèles de stabilité, matériaux immuables s’il en est, mais il est vrai qu’il fallait bien ce symbole d’éternité pour matérialiser les saints et le dieu qui peuplent les églises. Quant à la peinture, elle se pratiquait à partir de pigments dilués à l’huile sur toile de lin. Règles locales* de pratiques figées que l’art d’aujourd’hui questionne : tous les matériaux deviennent alors envisageables et la combinaison de plusieurs d’entre eux aussi. Parfois même, l’artiste a recours à des objets déjà fabriqués qui portent avec eux l’histoire de leur production.

Il va de soi que cette remise en cause des éléments substantiels du travail artistique met en place de nouvelles modalités d’approche du matériau qui sont à prendre en compte durant la pratique. Vous ne devez pas perdre de vue que :

1.   il faut privilégier une attention concrète aux matériaux ;

2.  les matériaux en présence dans un travail plastique* sont porteurs de sens. Choisir un matériau, c’est produire du sens comme choisir un mode de combinaison (nouer, juxtaposer, mettre en vis-à-vis...) entre différents matériaux ;

 3. les matériaux en jeu dans un travail plastique* ont une relation de conduction*, dans la mesure où choisir un mode de combinaison, c’est proposer un passage entre des matériaux hétérogènes. (Bref les matériaux ne sont pas des accessoires).


Comme vous pouvez le constater, nous ne nous tiendrons pas à la typologie classique des matériaux telle que vous pourrez la trouver dans n’importe quel ouvrage usuel, où les matériaux sont classés en fonction de leur solidité ou leur fluidité en catégorisant leur degré de malléabilité(1). Ce regard « réduit » s’avère, selon nous, trop abstrait à l’usage. Si cette catégorisation s’intéresse aux qualités physiques présentes dans une œuvre, elle n’en reste pas moins une description abstraite qui expulse le sens de ces matériaux. Que pourrait signifier « faire une sculpture gazeuse » ? Comment le son peut-il être un matériau « plastique* » disponible pour l’artiste ? Quel sens cela peut-il avoir ? Comment le plasticien peut-il faire dialoguer une sonorité avec d’autres matériaux hétérogènes ? En effet, c’est la critique essentielle que nous ferons de l’approche classique : la juxtaposition et l’assemblage de ces matériaux, leurs rapprochements, ne sont pas pensés dans les descriptions figées qu’elle propose. Finalement, elle nous renseigne seulement sur les progrès des artistes depuis qu’ils se sont débarrassés du marbre comme matériau unique de l’art. 

Nous proposerons alors et insisterons sur une approche moins « pétrifiée » du matériau. Depuis que le travail plastique* se fait d’assemblages, de combinaisons, les matériaux hétérogènes se rencontrent. Ils sont solubles, ils glissent les uns dans les autres et leur mutabilité crée du sens. Nul doute que les sons, les gaz, les liquides ont une vie propre : ils changent d’état physique et se déploient dans le temps...  On oublie souvent de le préciser, mais les matériaux mis en œuvre dans une réalisation plastique* ont une relation de conduction*. La conduction* suppose qu’à la différence de l’œuvre « classique », immuable et incorporée à un matériau stable, ceux employés aujourd’hui s’inscrivent dans une temporalité et communiquent entre eux, physiquement (dans ce cas la conduction* n’est pas à entendre dans son sens métaphorique) ou mentalement, c’est-à-dire que la conduction* est sémantique (elle procède par association d’idées, pouvons nous dire). De plus, le geste artistique qui canalise cette rencontre est un autre trajet à considérer. Il est, comme nous allons le voir déduit des qualités du matériau. Et la somme de ces trajets, leur précipité, en est le sens. 

Bien sûr, il est aberrant de faire une ligne de partage entre conduction* physique et conduction* mentale, car elle rejouerait une séparation entre sensible et raison qui ne serait pas en accord avec notre définition de la pensée plastique*. Nous allons pourtant nous y livrer pour étayer notre propos.


Conduction physique


Procédons logiquement tout d’abord, et auscultons les énergies physiques en présence dans la réunion de matériaux hétérogènes. Nous proposons à l’élève studieux que vous êtes de réaliser ces expériences à nos côtés. 


 Vous avez choisi des matériaux hétérogènes qui dialogueront entre eux objectivement par leur qualité physique (texture, poids, grains…). Imaginons alors une situation zéro, la plus simple et la plus évidente possible dans laquelle vous pourriez vous trouver. Évoquons le fait que certains matériaux choisis peuvent être suffisamment isolants pour ne pas communiquer avec d’autres. Cependant, dans ce cas, il ne faut pas perdre de vue que des énergies externes rentrent en ligne de compte. Comme la gravitation en particulier et les forces qui en découlent : équilibre, suspension… De par leur imperméabilité, si vous voulez les mettre en contact, vous devrez choisir les opérations plastiques* logiques qui s’imposent : superposer, nouer, envelopper… par exemple. 


P.Manzoni, Socle du monde, 1961.

Acier : 82X100X100cm.


À partir de cette situation zéro nous pouvons concevoir une autre possibilité, celle où les matériaux sont en relation de conduction* physique.

La conduction* physique peut être directe ou indirecte. Nous nommerons conduction* directe les situations où un matériau se transforme lui-même, c’est-à-dire, lorsqu’un matériau change d’état (exemple : Hans Haacke, box weather), ainsi que les situations où un matériau se répand physiquement dans un autre (exemple : Joseph Beuys, objet fluxus : de la graisse sur du carton). Ce dernier cas peut désigner la conduction* au sens strict, c’est-à-dire telle qu’on l’entend dans les sciences physiques.  De ce fait, nous appellerons conduction* indirecte, les situations où la transformation d’un matériau entraîne des conséquences sensibles sur un autre matériau (exemple : G. Anselmo, sculpture qui mange).


Vous avez choisi donc pour une conduction* directe des matériaux qui vont cohabiter en communiquant physiquement les uns avec les autres ou des matériaux qui changent de nature. Les matériaux en jeu dans votre travail plastique* correspondent par déplacement et diffusion de l’un à l’autre. Ce sont des éléments qui vivent et se transforment. Parfois, il s’agit de matériaux qui se décomposent du fait de leur nature périssable ou de matériaux instables dans leur structure, sensibles à l’environnement. Aujourd’hui, l’acte artistique peut consister seulement à rendre visible ces changements d’état du matériau. Hans Haacke propose avec sa Weather Box (1963) une boîte en plastique* remplie d’eau distillée qui passera de l’état liquide à l’état gazeux. Le gaz retrouve sa forme liquide par condensation en fonction des conditions atmosphériques variables auxquelles la sculpture est soumise, puis s’évapore à nouveau. Hans Haacke précisera à propos de ce travail : « Une sculpture qui réagit physiquement à son environnement ne peut plus être regardée comme un objet. » Le spectateur devient le témoin d’un système qui « ne relève pas de l’imaginaire », mais qui est « de l’ordre du réel (souligner par nous). » 


Hans Haacke, Weather box, 1963.

Plexiglas et eau.


Voici un premier point théorique important concernant notre approche physique du matériau plastique* et de l’objet artistique qui en résulte. Sans doute vous demandez-vous ce que peut signifier une œuvre qui « relève du réel » ? 


Ecoutons ce que nous dit la déclaration de H.Haacke : cette énergie déployée qui se transforme en une autre énergie, nous donne une nouvelle vision de l’objet d’art. Autrefois sacralisé, contenu dans un matériau immuable, le travail plastique* réintroduit aujourd’hui le vivant en s’inscrivant dans une temporalité concrète. L’œuvre n’est pas coupée du réel, elle se vit (du point de vue du spectateur) au présent et par là même, parce qu’elle n’est plus une illusion, elle rejoint la vie « quotidienne ». Pour vous plasticien amateur, l’énergie et la durée doivent être prises en compte dans la combinaison de matériaux car elles font sens. Les opérations plastiques* qui découlent logiquement d’une telle approche, prennent en considération les notions de chaleur, d’attraction, de devenir…car il ne s’agit plus de donner une copie la plus exacte possible de la réalité, ni de représenter une quelconque éternité mais de s’inscrire dans le réel. De penser l’acte artistique les pieds sur terre(2).



G. Anselmo, Sans titre ou sculpture qui mange, 1968.

Granit, fil de cuivre, laitue fraîche, terre ou sciure.


Les matériaux naturels et vivants soumis au pourrissement deviennent disponibles. Dans ce travail d’Anselmo, la salade va pourrir et laisser tomber le bloc de granit maintenu par un fil de fer. Discussion ironique avec les œuvres du passé : c’est un socle qui mange de la salade. Chez Francis Alÿs, c’est un chien aimanté à roulettes, qu’il promène dans les rues de Mexico, relique des souvenirs ferreux de son parcours. Ces promenades donneront lieu à des photographies retouchées à la peinture et des vidéos comptes-rendus.



Francis Alÿs, The collector (Mexico City, October 1991), 1991.

J.Beuys, Fat chair I, 1963.

Chaise de bois, graisse et thermomètre.


Ces matériaux labiles, qui s’inscrivent dans un procès, s’ils changent le statut de l’objet d’art, n’en modifient pas moins fondamentalement le travail artistique aussi. La gymnastique* plastique et ses figures, déduite de ces matériaux, s’inscrit dans une œuvre qui est un moment. Cette manière de considérer le matériau, comme vous avez pu vous en rendre compte par vous-même, est complémentaire de notre façon d’aborder la plasticité. Elle apparaît éminemment concrète, de par les nouvelles modalités du faire artistique qu’elle induit. Et nous n’en sommes qu’au début.



Conduction Mentale


La conduction* mentale se distingue des relations physiques d’un matériau à un autre. Mais prenons garde à cette dénomination, il ne s’agit pas de la comprendre comme un appel mystique. Comme vous pourrez le constater, « mental » ne désigne pas des états d’âmes ou un quelconque recours, dans ce qui va suivre, à la télépathie. Au contraire, la conduction* mentale désigne la prise en considération du sens présent dans chaque matériau utilisé et mis en relation avec un autre. Un assemblage qui s’avère donc être aussi un assemblage de sens. La conduction* mentale est essentiellement liée à la relation entre plusieurs matériaux « scénarisés ». Nous pouvons dire qu’il y a conduction* mentale quand l’artiste choisit un rapprochement, une relation construite avec des éléments matériels qu’il choisit pour l’histoire que chaque matériau et/ou objet raconte(nt). Bref, lorsque des matériaux hétérogènes dialoguent mentalement chez l’auteur et chez le spectateur. Mais, est-il utile de le préciser, la conduction* mentale ne nie en aucun cas les qualités physiques des matériaux choisis. D’ailleurs, il n’est pas de matériaux qui ne soient pas scénarisés aujourd’hui, y compris les matériaux les plus simples. 


La conduction* mentale nous fait envisager le sens d’une œuvre comme une chaleur qui se répand...



 Conduction mentale de matériaux scénarisés simples


Choisir un matériau c’est choisir aussi le scénario* qui l’habite. Nous pouvons affirmer qu’il n’y a pas de matériaux qui puissent s’appréhender au premier degré. Ils ont déjà en quelque sorte un sens, de par la « fiction » qui les traverse.


 Choisir le marbre par exemple, c’est profiter de ses qualités physiques intrinsèques, mais c’est aussi se référer à la sculpture classique et à son usage dans l’histoire occidentale.  Se servir de matériaux naturels (bois, feuilles, plantes, terre...) ne peut s’envisager alors qu’à partir de l’idée contemporaine que l’on se fait de la nature. L’idée de progrès, l’urbanisation et la disparition du monde rural ont transformé notre pensée de la nature en lui attribuant un statut d’ « authenticité », un paradis perdu et menacé (scénario* relayé par la publicité, la culture bio...). Quant au béton, il est directement impliqué dans l’histoire de notre société industrielle, et dans la reconstruction qui eut lieu lors de l’après-guerre…Lorsque Hans Haacke récolte tous les déchets qu’il trouve sur la plage, puis qu’il les entasse sur cette même plage pour faire une photographie dénonçant la pollution (Beach pollution, 1970), le sens ne peut passer que dans la mesure où la plage, en tant que matériau scénarisé (la nature), et les déchets (la société contemporaine, ces attitudes, son gaspillage...) se rencontrent.


 

Hans Haacke, beach – pollution, 1970.


 Parfois c’est le corps lui-même qui peut être utilisé comme matériau(3). Dans ce cas, on choisit de travailler avec toutes les représentations (artistiques et sociales) du corps, conditionnées par notre société : de le libérer de ses représentations et d’affirmer au contraire un corps physique, fait de chair et de sang (Gina Pane par exemple), de le questionner, en rejouant les codes de représentation et les canons de beauté (Cindy Scherman) dans l’esthétique des films hollywoodiens. 


Ainsi Carolee Schneeman, avec meat joy (1964) dénonce la non égalité des sexes dans l’expression du désir et dans la vie sociale, ainsi que la violence sexuelle et les représentations récupérées par les mass média du corps de la femme. Dans ce happening son corps devient le lieu d’une célébration de sa sexualité. Elle utilise du sang, des carcasses de viandes, des poissons crus, des saucisses, des poulets pour recouvrir son corps, elle devient elle-même alors le support d’un collage. 


Mathevet Frédéric, Amoureries, pour 2 flûtes, 2007.


La difficulté pour vous est de délimiter le champ de significations d’un matériau scénarisé. En effet, le scénario ne doit pas se penser comme un symbole, comme il ne doit pas renvoyer seulement à une mythologie personnelle. Le scénario est un réseau complexe de sens (physique, historique, sociologique...) qui doit s’appréhender objectivement dans votre pratique et dans votre œuvre.


Une partie de l’histoire de l’art du XXème siècle peut se comprendre comme la déconstruction rigoureuse de l’objet-scénarisé-tableau. Chacun de ses constituants objectifs étant soumis à un questionnement : le cadre, le châssis, la toile, la surface, le motif, l’accrochage... Se faisant, l’illusion, reine de l’histoire de l’art occidentale, laisse place à une peinture littérale en affirmant le tableau comme objet. Il n’y a rien d’autre à voir.


BMPT, Manifestation, 1967.


Mais il va de soi qu’une telle approche trouve ses raisons abstraites du passé(5):



Edouard Manet, Un bar au Folies Bergère, 1882. Huile sur toile, 96X130cm.



Conduction mentale de matériaux scénarisés complexes


Mais le scénario* d’un matériau peut s’avérer d’autant plus complexe qu’un artiste a la possibilité aujourd’hui de choisir des objets qu’il n’aura pas produits lui-même. Dans ce cas, il faut considérer tous les niveaux de sens dont ces matériaux sont porteurs : usage social*, rapport historique, fonction, matériaux utilisés, rapport au corps... C’est la pratique de l’installation qui use le plus de matériaux scénarisés complexes à notre époque, à la suite de M. Duchamp, qui, en inventant le ready-made, est l’initiateur de l’usage d’objet « prêt-à-porter » dans le champ artistique. Et, à l’image de cette roue de vélo fixée sur un tabouret(6), c’est le rapprochement de plusieurs objets, la confrontation des différentes histoires de chacun d’eux qui va produire du sens. Il ne s’agit pas seulement d’assembler, mais d’organiser cette rencontre d’éléments scénarisés. De ce fait, le geste artistique déduit des matériaux scénarisés complexes est un geste de «montage ». C’est-à-dire que le vis-à-vis de ces matériaux hétérogènes fait surgir du sens, comme lorsqu’on rapproche deux images lointaines.



M. Duchamp, Why not sneeze Rose Selavy ?, 1921.

Blocs de marbre en forme de sucre, thermomètre, bois et os de seiche dans une cage à oiseaux.



Giueseppe Penone, Sans titre, 1984.

Main d’acier fixée dans un arbre. 


Vous pouvez donc avoir recours à des matériaux complexes en tant qu’objets déjà fabriqués par d’autres et directement liés à notre société moderne. Il s’agit alors de considérer la narration domestique, sociale, politique, culturelle qu’ils véhiculent. « Un usage social* qui s’ajoute à la pure matière.(7)»


L’action artistique, les matériaux en présence dans l’œuvre manifestée sont interdépendants. C’est la grande leçon de la conduction*, appliquée aux éléments constitutifs d’un travail plastique*. D’une part, les opérations plastiques convoquent un passage, d’autre part, les objets se diffusent. Notre investigation du niveau substantiel de l’œuvre d’art contemporaine nous conduit à affirmer que toutes les données de l’œuvre − et le geste apparaît comme une donnée inévitable − doivent être connectées les unes aux autres.


L’immatériel



Vous pouvez toujours être tentés de jouer avec l’inconsistant, l’immatériel. Cependant vous ne ferez pas l’impasse de sa manifestation sensible. Y. Klein en exposant le vide à la Galerie Iris Clair théâtralisera tout le protocole d’exposition afin de rendre sensible l’idée de vide : les portes de la galerie furent enlevées de leurs gongs, les murs repeints en blanc avec un médium IKB qui reflète la lumière et lui donne un reflet bleu particulier. Les spectateurs, lors du vernissage, furent invités à entrer par une porte de service et ils purent consommer un cocktail au curaçao. 


Autant de petites opérations plastiques* qui visaient à rendre sensible le « vide ». Les notions abstraites irreprésentables ou les idées (art conceptuel) sont toujours amenées à trouver une forme sensible indirecte. Il n’y a pas de rencontre possible avec l’immatériel, il y a toujours une manipulation sensible à réaliser. Et c’est l’intérêt de ce chapitre que de proposer une analyse simple des matériaux pour éviter les dérives mystiques. 


 Ce court détour par l’immatériel confirme au contraire ce que nous avons pu avancer jusqu’ici : les opérations plastiques produisent du sens.




J.Beuys, capri batterie, 1985, citron et ampoule.




Tableau 1. Tableaux des conductions (clic droit, puis "ouvrir l'image dans un nouvel onglet pour voir le tableau en entier) .


1 On distingue alors les matériaux semi-malléables (plastique*, fer...) des matériaux stables (pierre, bois) et des matériaux fluides (eau, gaz...et son).

2 La notion d’énergie décrite ici, ne doit pas se comprendre dans un sens « mystique », je le rappelle, car c’est un risque dont nous ne sommes jamais trop à l’abri. Il s’agit bien de description physique ou chimique.

3 Mais les opérations plastiques qui traversent toute œuvre sont toujours la trace d’un corps.

4 Un modèle de penser notre rapport à l’histoire de l’art qui est à l’image de l’ « analyse  centrifuge » proposée par Pierre Boulez dans ses leçons de musiques, Christian Bourgois éditeur, 2005, p. 75 : « La situation la plus séduisante est de créer un labyrinthe [une œuvre] à partir d’un autre labyrinthe, de superposer son propre labyrinthe à celui du compositeur [analysé] : non pas essayer en vain de reconstituer sa démarche, mais créer, à partir de l’image incertaine qu’on peut avoir, une autre démarche. L’analyse productive est probablement, dans le cas le plus désinvolte, l’analyse fausse, trouvant dans l’œuvre non pas une vérité générale, mais une vérité particulière, transitoire, et greffant sa propre imagination sur l’imagination du compositeur analysé. Cette rencontre analytique, cette détonation soudaine, pour subjective qu’elle soit, n’en est pas moins la seule créatrice. »


5 Le premier ready made de M. Duchamp. Mais le terme de ready made n’apparaîtra que deux ans plus tard.

6 Ce mode de lecture des objets, des matériaux et des images* peut trouver un parallèle intéressant avec le système sémiologique second défini par Roland Barthes dans « Le mythe, aujourd’hui » (Mythologie, coll. Points, Ed. du Seuil, 1970). Selon lui, le système sémiologique second porte son étude sur un système de signes inscrits dans les images*, les objets, les pratiques, contingent culturellement et historiquement, mais néanmoins extrêmement fort. Cependant, la schématisation signifiant/signifié/signe, même doublée et déboîtée pour la parole « mythique », où le signifiant devient signe à son tour, semble insuffisante à décrire certaines pratiques. La publicité notamment, dont le signifiant a un sens qui effectivement s’étend au-delà de son simple sens de vente, ne peut s’interpréter que dans un réseau complexe d’usages, de pratiques, d’activations du cliché...etc que la dichotomie classique ne suffit plus à appréhender. Pour nous, c’est ce réseau complexe, cette suite d’opérations, qui fait signe.